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1980 : le traumatisme à Bondy après une «ratonnade» de militants d'extrême droite

1980 : le traumatisme à Bondy après une «ratonnade» de militants d'extrême droite

Le 25 novembre, une centaine de militants d’extrême droite ont voulu pénétrer dans le quartier de la Monnaie à Romans-sur-Isère dans la Drôme, d’où sont originaires plusieurs suspects dans la mort d'un adolescent lors d'un bal de Crépol. Certains y voient le retour des «ratonnades» qui émaillèrent l'actualité des années 80. Parmi les plus marquantes, il y a celle de Bondy.

Par Florence Dartois - Publié le 27.11.2023
Attaque raciste à Bondy - 1980 - 03:46 - vidéo
 

L'ACTU.

Dans la nuit du samedi 25 au dimanche 26 novembre, des militants d’extrême droite ont effectué une descente à Romans-sur-Isère dans la Drôme d’où sont originaires plusieurs agresseurs présumés du bal de Crépol où le jeune Thomas a perdu la vie. Encagoulés et habillés de noir, les militants ont défilé derrière une banderole « Justice pour Thomas, ni pardon, ni oubli » au cri de « La rue, la France, nous appartient ». Au terme de cette soirée, la police a arrêté 20 personnes.

Ces événements ont provoqué l'inquiétude parmi les dirigeants politiques. Invitée sur BFMTV, la ministre des Solidarités, Aurore Bergé, a dénoncé une « expédition punitive ». À gauche, Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, a même employé le mot de « ratonnade » : « Retour des ratonnades. L’extrême-droite telle qu’elle est. La mort de Thomas comme prétexte. La haine raciste comme mobile. La violence comme moyen ».

La «ratonnade», cette « expédition punitive ou brutalités exercées contre des Maghrébins », selon la définition du Robert, est un phénomène social qui a émaillé l'actualité des années 1980. L'une des plus retentissantes date de mai 1980 à Bondy en Seine-Saint-Denis. C'est de cette affaire dont il est question dans l'archive en tête d'article. Elle décrit le contexte de la «ratonnade», présente les victimes et décrit la peur des habitants dans les jours qui suivirent.

L'ARCHIVE.

« On a vu arriver une quinzaine de personnes, crânes rasés, habillés en training, des barres dans les mains, des chaînes... ». Ces mots, ce sont ceux de la principale victime de cette «ratonnade», Mohammed, qui témoignait visage caché dans le JT d'Antenne 2 Midi quelques jours après les faits, le 9 juin 1980.

La «ratonnade» dont il avait été victime s'était déroulée dans la soirée du 30 mai. Le jeune homme de 19 ans discutait en bas de son immeuble avec ses amis lorsqu'il a vu surgir une bande armée « de matraques, des gourdins, des couteaux dans les mains » qui criait : « À mort les Arabes ».

Dans le journal de juin 1980, Mohammed témoignait en ombre chinoise, le reportage montrait, en revanche, une photo de son dos lardé de larges coups de rasoir. Près d'un an plus tard, dans « Les dossiers de l'écran », en octobre 1981, il témoignait à nouveau, en plateau cette fois et à visage découvert. Dans son témoignage à découvrir ci-dessous, le jeune homme de 20 ans donnait les détails sur son agression. Comment il avait tenté de fuir, comment il était tombé, avait secouru un ami, avant d'être roué de coups : « Moi, je n’ai pas pu partir. C’est là qu’ils ont commencé à me taper avec des gourdins et puis, il y en avait un derrière moi, il me lacérait le dos ».

Un an après son agression, le jeune homme d'origine algérienne était encore bouleversé par ce qu'il avait vécu. Il racontait n'avoir jamais imaginé subir un jour une telle violence. Il avouait toujours vivre dans la peur et rester vigilant dans la rue. Pour lui, l'insouciance de l'adolescence était terminée.

Bondy vit dans la terreur

À l'époque, comme on le voit dans l'archive présentée en tête d'article, personne n'avait accepté de témoigner ouvertement : tout le monde était terrorisé dans la cité. Tous craignaient le retour des agresseurs, mais étaient prêts à se défendre. Tout en décrivant l'attitude ambiguë de la police, qui faisait des rondes dans le quartier et contrôlaient les jeunes. Ces derniers se sentaient « plutôt agresseurs qu’agressés ».

Après la «ratonnade», toutes les rumeurs allaient bon train, et le reportage montrait bien l'atmosphère anxiogène qui régnait alors. Certaines familles n’avaient pas encore remis leurs enfants à l’école, car on évoquait la présence de « jeunes avec des matraques » à proximité. Une dame du quartier qui était venue chercher sa nièce expliquait qu'on parlait de « bandes organisées qui soi-disant sont fascistes » rôdant dans les parages. Elle précisait : « C’est surtout pour les Arabes, mais enfin, on prend peur quand même. »

L'ambiance délétère s'inscrivait également sur les murs de la ville, recouverts de tags explicites : « Oui à la vivisection prenons des Arabes comme cobayes » ; « Immigrés dehors » ; « Un bon arabe, c’est un Arabe mort », et parfois en réponse : « Sales FAFS ».

Si à Bondy la psychose s’amplifiait, malgré les appels au calme de la municipalité, c’était peut-être, concluait la journaliste, parce que la police ne semblait pas prendre « très au sérieux cette affaire »...

Années 80 : des ratonnades récurrentes

Les années 80 fourmillent de «ratonnade» médiatisées, certaines meurtrières. Nous vous proposons quelques archives représentatives de cette époque. Comme celle du train Bordeaux-Vintimille par des apprentis légionnaires ivres qui avaient voulu « se faire un Arabe » et qui avait abouti au meurtre d'Habib Ghemzi en 1983.

La ratonnade
1983 - 02:39 - vidéo

Ou alors celle en août 83, dans une cité HLM d'Aix-en-Provence, quand Selim, un jeune maghrébin avait été assassiné par l'un des membres d'une bande de jeunes ratonneurs blancs. L'affaire avait défrayé la chronique, car le 25 avril 1984, les membres de la bande furent libérés après 8 mois de préventive, seul le tireur resta en prison.

Ratonnade meurtrière à Aix
1984 - 03:47 - vidéo

Ou encore, en août 1987, lorsque cinq skinheads ont tabassé des maghrébins un samedi soir à Châteauroux. Les agresseurs avaient expliqué qu'ils « ne supportaient ni les Arabes ni les revendeurs de drogue ». Dans cette archive du 17 août, un témoin racontait ce qui s'était passé : « On a vu deux personnes arriver avec des matraques en criant sales nègres et sales noirs et ils ont commencé à agresser des gens de la ZUP, des immigrés... Ça s'est terminé à coup de bâtons ». Pour lui, il s'agissait de « petits fachos habillés en noir, rangers, rasés ».

Toujours les mêmes mots pour décrire la même violence.

Les «ratonnades» vues par Mgr Lustiger

Ce fait divers de Châteauroux fut abondamment commenté dans les jours qui suivirent, ce qui nous donne l'occasion de vous proposer l'analyse de Monseigneur Lustiger qui avait été invité au 13 heures de TF1, le 19 août 1987. Il livre dans l'archive à regarder ci-dessous, une analyse intéressante de ce phénomène. Un phénomène qui s'inscrivait, selon lui, dans un contexte de racisme plus général.

Son interview est précédée d'un court récapitulatif des dernières affaires. On y voit un jeune skinhead qui explique ses griefs contre les Arabes, les résumant ainsi : « Ils nous aiment pas, nous non plus, on les aime pas et on a des différents avec eux. »

Après la diffusion de ce sujet, Monseigneur Lustiger livrait son ressenti sur la nature profonde de cette violence très souvent provoquée « par des jeunes ordinaires ». À ses yeux, ils ne représentaient qu'un vecteur d'expression d'une violence sous-jacente présente dans la société : « Ils expriment une tentation qui existe dans toute société, la tentation de la violence et de la haine. Et le racisme leur donne un prétexte à cette violence. Alors, à mon avis, il y a là un problème de fond. Premier point, il ne faut pas accabler la jeunesse et se rendre compte que les jeunes qui sont là ne font que manifester quelque chose qui est dans l'air. Et c'est parce qu'ils sont les plus mobiles que ce sont eux qui expriment ce qui se passe dans les profondeurs d'un pays. »

Prenant la métaphore du football, le cardinal poursuivait : « La vie sociale, c'est comme un match de football. Il y a une règle et un arbitre et il faut respecter la règle de la société et l'arbitre. Si on ne la respecte plus, c'est la jungle. Or, la vie politique française, la vie sociale, doit respecter la règle du jeu. Et la règle du jeu, ce n'est pas seulement les lois, les lois écrites, mais c'est aussi une loi non écrite qui est de respecter tout homme, quelle que soit la couleur de sa peau. »

Le prélat expliquait quel était, selon lui, le danger qui menaçait alors la France : « Il vient d'un peu partout, de la condition sociale, de la juxtaposition des mutations de notre pays. Il vient aussi d'une tentation de légitimer la haine et le rejet, comme un moyen normal de la vie sociale et de la vie politique. » Une réflexion qui n'est pas sans résonner avec la résurgence actuelle de la violence.

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